Le Château de Montgrimont au XIXème siècle : " De l'ère industrielle
à l'automobile "
Lorsque
André Germain Berranger décède en 1856, son neveu Jean Baptiste Pascal
Papillon, propriétaire-cultivateur épouse une demoiselle Prével et fait
don de Montgrimont en 1859 à sa fille Julie Bérénice (+1894) lors de
son mariage avec François Elie Delamare-Deboutteville, un important
industriel local.
C'est par ce
mariage que Montgrimont peut connaître l'étrange destinée qui va bouleverser
l'histoire contemporaine...
Les
DEBOUTTEVILLE
Au début du XVIII e siècle la famille "de Boutteville"
apparaît d'abord à Saint Georges sur Fontaine, elle vient de la paroisse
de Saint Nicolas du Verbois.
En 1740, Eustache de Boutteville tient le fief aînesse Bénard, sis au
Triège du Teurtre.
Dans un aveu du 26 juin 1782, François Léon de Boutteville déclare hériter
des biens de M. Bazire.
En 1791, Léon de Boutteville, laboureur, possède masure, pavillon, jardin
et terres labourables, bois et taillis situés sur la section dite du
Levant.
En l'an V de la République, Léon Audibert de Boutteville figure au rôle
de contributions et ce jusqu'en 1817. Il est remplacé par sa veuve jusqu'en
1833.
Elle est propriétaire avec Elie de Boutteville qui habite Fontaine le
Bourg et Tranquille de Boutteville qui habite Rouen. En 1839, la propriété
reste à Mme veuve Elie de Boutteville, celle-ci décède en 1843 à Saint
Georges.
Madame veuve Elie de Boutteville est la mère de Eugène de Boutteville,
filateur à Fontaine le Bourg et la belle-mère de Louis Delamare, fabricant
à Darnétal.
Son descendant Édouard Delamare-Deboutteville fut avec Léon Malandrin,
le constructeur de la première voiture qu'ils firent circuler sur la
route de Cailly en 1883. Cette voiture actionnée par un moteur à explosion
a été fabriquée dans les ateliers du Mont Grimont à Fontaine le Bourg.
Il achète des
terres et des moulins sur le Cailly, d'un débit et d'une hauteur d'eau
suffisants pour utiliser la force motrice de l'eau (" waterframing ")
à des fins industrielles, implantant ainsi plusieurs filatures dans
la vallée.
Sa fille Lucile épouse en 1834 François-Vendémiaire Delamare, issu d'une
riche famille de drapiers, qui ajouta le nom de sa femme - devenu célèbre
dans le monde de l'industrie - à son patronyme pour conforter son prestige
professionnel.
Héritant des
cinq filatures de ses parents, leur fils aîné François Elie Delamare-Deboutteville
construit un sixième établissement dans le bas de la propriété de sa
femme : la filature de Montgrimont.
La première
partie du château date probablement de cette époque : un petit castel
romantique agrémenté de deux tours construit dans le style néo-Tudor.
En effet, ce style est alors très au goût des industriels normands,
influencés par les préceptes techniques et architecturaux de leurs homologues
anglais.
Egalement armateur
de navires et propriétaire de mines de charbon dans le Sud de la France,
François Elie devient un des principaux industriels de son temps.
A l'époque, ce dernier établissement est probablement une des plus grosses
filatures de la région rouennaise : quelques hectares de bâtiments industriels,
comprenant cantines, logements ouvriers, maisons des contremaîtres,
centrale électrique...etc.
Dans le voisinage
immédiat de Montgrimont, le Comte Adrien de Germiny rachète Gouville
à Achille Lemasson vers 1870 et se lance dans d'importantes modifications
du domaine : il agrandit le château et y ajoute un jardin d'hiver.
Il fait surtout creuser un lac, qui existe toujours, d'environ quatre
hectares et agrémenté de plusieurs îles. La ferme est transformée en
exploitation modèle, complétée d'une pisciculture et de plusieurs serres
dont certaines abritent des collections d'orchidées. Deux puissants
béliers montent l'eau jusqu'au château par des canaux souterrains.
Il n'est donc
pas étonnant qu'en parallèle François Elie Delamare-Deboutteville entame
de semblables aménagements à quelques centaines de mètres de là, dans
l'ancienne Vavassorie.
Il aménage lui aussi une ferme sur les restes du logis seigneurial en
briques Saint-Jean et de ses bâtiments datant du XVII°, il élève le
logis d'un étage en briques flammées, reconstruit une partie du four
à pain, rehausse les piliers d'entrée, rase les anciennes étables et
réutilise les briques dans la construction de nouveaux bâtiments (deux
fois plus longs que les précédents), restaure le colombier et reconstruit
une immense grange.
Son jeune frère
Edouard, de 21 ans son cadet, épouse en 1878 sa nièce Julie-Lucile (fille
de François-Elie) qui n'a que quatre années de moins que lui. Julie-Lucile
hérite du Domaine de Montgrimont en 1894 au décès de sa mère.
Au contraire
de son frère, homme d'affaires, Edouard est plutôt rêveur, idéaliste
et passionné, mais il est aussi un brillant ingénieur mathématicien,
et surtout un inventeur de génie.
En effet, sa " Machine Universelle " lui vaut une Médaille d'argent
à l'Exposition de Francfort en 1881, ses " Moteurs Simplex " (à gaz),
une Médaille de bronze à l'Exposition de Rouen en 1884 et ses " Moteurs
forte puissance ", une Médaille d'or à l'Exposition Universelle de Paris
en 1889 !
Dans les annexes
de la filature de son frère ou dans le gigantesque bureau qu'il adjoint
au château, Edouard Delamare-Deboutteville invente tout, exploite peu
et refuse de vendre ses brevets.
Ceux-ci, trouvant de sérieux débouchés dans toutes les branches de l'industrie
de l'époque (domaine maritime, hauts fourneaux et…automobile) auraient
pourtant permis à la famille de résister à la montée d'une concurrence
s'installant de plus en plus dans des sites mieux desservis par les
axes de communication, et notamment grâce aux nouvelles " pompes à feu
" au charbon, qui s'implantent sur la rive gauche de Rouen.
C'est un homme aux talents et aux facettes multiples, qui font de lui
un être étrange et complet.
L'ancienne filature
Après de premiers
essais sur un tricycle doté d'un moteur à gaz d'éclairage, en
1883, avec l'aide de Léon Malandin et d'autres ouvriers de la
filature de Montgrimont, il invente la première voiture automobile,
deux an avant Daimler-Benz, en équipant un vieux break de chasse
d'un moteur à explosion (bicylindrique 8HP) fonctionnant à la
gazoline.
Cette invention, avec les conséquences qu'on lui connaît, est
de loin la plus révolutionnaire de son temps.
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Egalement passionné
de chasse, il est attiré par les collections d'oiseaux (qui feront de
lui un des principaux donateurs du Muséum d'Histoire Naturelle de Rouen,
et qui constitueront le fonds ornithologique du musée, dont le naturaliste
Georges Pennetier est le directeur-adjoint et également ancien professeur
d'histoire naturelle d'Edouard).
Récompensé
dans les expositions maritimes françaises et européennes pour ses inventions
de filets de pêche, il développe aussi de nouvelles techniques d'ostréiculture
dans sa propriété bretonne de Prat-Ar-Coum, et rédige un mémoire détaillé
sur la mytiliculture pour le Congrès International des Pêches Maritimes
de Dieppe en 1898.
S'intéressant
aussi aux sciences occultes, à la philosophie, à l'ésotérisme et aux
origines des civilisations, parlant couramment plusieurs langues, il
s'initie au Vede et surtout au Sanscrit grâce à son ami Hardjji Schariph.
Ce bramin, rencontré à Rouen en 1880 par l'intermédiaire du Professeur
Schwalm, appartient à la première des castes héréditaires hindoues mais
proscrit de son pays pour avoir participé à une insurrection contre
les Anglais.
Ce personnage énigmatique vient souvent à Montgrimont. Portant de larges
vêtements orientaux et coiffé d'un turban d'étoffe claire… il intrigue
considérablement la population du village.
Après le décès
d'Edouard Delamare-Deboutteville le 7 février 1901, sa femme vend très
rapidement la propriété à un certain Léon Célestin Dureteste, hôtelier
monégasque et grand chasseur, qui agrandit considérablement le château
(hall escalier d'honneur, grand salon) et rase la filature devenue inutile,
ayant été partiellement détruite par un incendie survenu en 1886.
Il ne laisse que les maisons des contremaîtres qui deviendront peu à
peu des logements locatifs, et un moulin qui, grâce au " bief perché
" aménagé pour la filature, pourrait encore servir de centrale électrique.
Ces données
historiques sont l'oeuvre de la famille Boulard-Gervaise
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